La Bête
6.4
La Bête

Film de Bertrand Bonello (2022)

J’avais exprimé avec Conann l’année dernière, à quel point il peut être ardu de parler en bon et dû forme d’un long-métrage qui m’a autant marqué au fer rouge. D’autant plus pour un metteur en scène comme Bertrand Bonello, dont je commence à avoir une certaine vision d’ensemble de la filmographie et qui trace petit à petit sa route vers le cercle des auteurs les plus captivant et clivant du cinéma français, le genre de réalisateur dont on ne peut jamais savoir à l’avance si on va adorer ou détester l’expérience, si (surtout pour des accros à SC comme moi), la note se situera plus autour des 2, 3/10 ou des 8, 9, voire 10/10 qui sait. Pour vous remettre dans mon contexte, j’ai découvert La Bête au fifib, un mois à peine après sa projection au festival de Venise, peu d’images à notre disposition, seulement un pitch assez mystérieux et un casting alléchant, d’autant plus pour un inconditionnel amoureux de Léa Seydoux comme moi. Léa Seydoux au centre de cette assez libre adaptation de La bête dans la jungle d’Henry James, prenant cette fois-ci le penchant féminin d’une dénommée Gabrielle, vivant en plein 2044 ; un futur semblant proche autant dans sa date, son esthétique que ses thématiques, où l’intelligence artificielle a conditionné les humains à choisir entre leurs émotions (considérées comme une menace) et une raison froide, plus proche de l’informatique que de l’humanité. Gabrielle, pour travailler, doit purifier son ADN qui la contraint jusque là à une forme de marginalisation, et va être forcée à revivre ses vies antérieures, ses incarnations passées, dont les échos, actions, catastrophes et traumatismes vont petit à petit faire le portrait de ce personnage trouble dont l’unicité temporelle est tenue par une émotion : la peur, la peur de voir surgir la bête.

  • En trois points, une critique, un ressenti, une enquête, un décorticage, une lettre d’amour à ce qui est déjà pour moi le plus grand film de 2024

(entre parenthèse, j'ai mis du temps à écrire tout ça, c'est tellement dense et long que je n'ai pas eu le temps de vérifier si beaucoup de coquilles s'étaient oui ou non glissé. Cela sera l'affaire de quelques jours mais pour les premiers lecteurs, désolé d'avance si je suis parfois peu clair).

  • La Bête est un très grand film qui transpire de cinéma

Bon bon bon, comment aborder ce gros morceau de cinéma, parce que je vais être franc maintenant, La Bête est pour moi d’or et déjà LE film de 2024, celui à ne pas louper, celui qui vient rebattre les cartes du septième art, celui qui va vous mettre dans tous vos états, celui qui vous surprendra ad æternam, celui sur lequel il me paraît y avoir trop à dire pour une conclusion au finale tout le temps similaire : c’est du génie, du génie qui ne touchera pas tout le monde mais qui transpire du cinéma. Comme je l’ai dit plus haut, Bertrand Bonello est un cinéaste radical, qui provoque autant l’admiration que le rejet, la passion que la circonspection, et ce La Bête, est loin d’être son œuvre la plus accessible. Mais tant mieux dans un sens, car au-delà du caractère radical de l’œuvre, le metteur en scène se permet toutes les folies et audaces, ose perdre son spectateur pour mieux le retrouver complètement ébahi, ou au contraire perdu. Bref, c’est un film qui ne laisse pas de marbre du début jusqu’à la fin. Le tout en grande partie grâce à son récit, à la fois extrêmement complexe mais d’une limpidité totalement effarante passé un certain effet de surprise qui pourrait déjà laisser la majorité des spectateurs sur le carreau. Au-delà de sa scène d’introduction, qui joue la carte du mystère, autant dans ses dialogues abscons ou du moins cryptiques, que son décor littéralement sur fond vert, eh bien La Bête nous transporte… dans le passé. Alors qu’on nous avait promis un récit de science-fiction, le réalisateur début son long-métrage par une longue déambulation dans une fête mondaine, où l’on suit Léa Seydoux de dos, croisant le regard de plusieurs personnages, jusqu’à croiser celui de Louis, interprété par Geroges MacKay. Alors que le metteur en scène raccrochait les wagons avec le roman d’Henry James, installant une prémisse similaire, il coupe droit vers 2044, où l’on retrouve Gabrielle, dans un monde à la frontière du notre mais régit par l’intelligence artificielle. Je n’en dirai pas plus sur l’histoire et surtout ses fluctuations temporelles, mais La bête, amorce avec ses vingt premières minutes déjà le zèle de sa narration ô combien singulière, peu appréhendable voir aimable, mais au final, passionnante. Car au gré de ces scènes qui semblent à première vu ne pas servir le scénario, Bertrand Bonello ne fait qu’avant tout complexifier et densifier le portrait de sa protagoniste, dont on apprend petit à petit à connaître les états malgré que l’enveloppe corporelle soit disparate. C’est même l’univers du film qui, au départ assez froid, nous apparaît de plus en passionnant, à la fois grâce au travail d’immersion que je vais mettre en avant sous peu, mais surtout grâce aux énormes efforts techniques mis en avant dans le long-métrage. C’est un long-métrage tenu et pensé de A à Z, chaque décor, costume et lumière, chaque direction de jeu voir acteur, références musicales ou morceau original, etc, tout est cohérent et prend sens pour la création de l’univers mental et dystopique de La Bête. Ces efforts participent selon moi à la grande richesse mais surtout limpidité du long-métrage, car au-delà de son scénario pur et dur, malléable et mué par l’expérimentation, tout les univers dépeint par La Bête sont alimentés par ce que certains appelleraient des détails. Pourtant, l’ouvrage proposé par ces coiffeurs, costumiers, décorateurs et j’en passe, donne une singularité supplémentaire au film, qui tout en restant assez minimaliste, offre des plans aussi léchées qu’ingénieuses, nous immergent dans l’univers tout en nous y appréhendant. Lors du question-réponse suivant notre séance, Bertrand Bonello a notamment cité le travail des costumes sur la partie futuriste, très épurée et à contre-courant d’autres modèles plus clinquants. Pourtant quoi de plus logique, dans un monde régit par la logique, de produire plus de manière plus dépouillée par rapport aux enjeux économiques et climatiques contemporains ? De même que ces décors d’intérieur presque impersonnels ou ces casques respiratoires d’une simplicité presque troublante, m’ayant progressivement et insidieusement embarqué dans cet univers, de ses enjeux à son atmosphère proche des espaces liminaux. Un univers extrêmement poussé donc, jusqu’au personnage de Léa Seydoux, qui a clairement été écrit pour elle, de part les différentes références ou parallèles faisables envers sa personne, que l’écriture du personnage destiné à lui aller comme un gant, avec son style de jeu froid ; pas loin d’un idéal d’intelligence artificielle, qui laisse pourtant à vivre au spectateur des ruptures de ton du tragique à l’horreur tout simplement saisissantes. Jusque dans la structure du personnage, issue d'un milieu aisé, bénéficiant d'une vie active à l'étranger, passant assez naturellement de l'anglais au français, mais qui reste empreinte de timidité. Elle incarne un peu tout le génie de ce La Bête, qui présente un univers extrêmement dense mais alimenté par son rapport au septième art, qui m’a permis par son extrême précision d’à la fois digérer la densité du long-métrage, mais d’en plus appréhender ce qu’il y raconte en fond.

Si la bête est un film complexe mais passionnant dans son récit, il l’est aussi dans ses genres qui par ailleurs, augmentent le sentiment d’imprévisibilité du long-métrage. La bête, c’est certes une grande fresque romanesque, prenant appui sur une amorce d’anticipation/science-fiction qui vient justifier un slalom constant entre le récit historique, le drame purement intime et le thriller à suspens, voir au film d’horreur avec cette bête plus menaçante que jamais qui intervient dans une séquence d’home invasion totalement étouffante, et… Bon, je ne vais pas énumérer plus longtemps les différents genres abordés par le metteur en scène, mais plutôt d’expliquer en quoi leur utilisation me paraît tout simplement magistrale, et donne à ce film certes lent, un rythme soutenu, qui fait de son statut d’œuvre inclassable le prétexte parfait pour aborder une myriade de thèmes indénombrables et qui donnent le vertige. Non ce que je veux mettre en avant, c’est qu’au delà de la complexité du film, ce qui m’a fait tenir le long-métrage, c’est Gabrielle. Au-delà de mon amour pour Léa Seydoux, la grande ingéniosité de Bertrand Bonello est je pense d’épouser la psychologie du personnage par le biais des genres et sous-genres ; voir même jusqu’au différentes idées visuelles. En passant de 1912 à 2014 à 2044, le film créé un dédale mental plus que temporel qui renforce d’autant plus l’attache que j’ai pu avoir envers Gabrielle. Si expérimentation il y a, plus que la narration à tiroir, c’est pour moi bien ce jeu entre les genres qui créé des séquences parfois complètement inédites dans leur ton, ou du moins, qui viennent admirablement compléter une écriture sur le papier extrêmement risquée, mais qui se voit justement sauvé par sa grande consistance de tons et de genres. Pourtant, comme dit plus haut, il y a un énorme travail d’immersion qui, pour moi, à tout à voir avec cette multiplicité de genres, car j’ai eu le sentiment, de bout en bout, d’être dans la tête de Gabrielle et plus précisément, dans un état de subconscient/réminiscence. Cela sert à la fois l’atmosphère profondément étrange et onirique du long-métrage, mais aussi les fréquentes bascules vers des événements à l’intensité dramatique, fantasmagorique voire horrifique, bien plus pesante. Pourtant rien n’est gratuit dans ces changements d’ambiance, Bertrand Bonello arrive selon moi magistralement à rester à la lisière du mental de sa protagoniste, et il a osé par ce biais là, faire vivre à son spectateur des scènes intenses oui, mais qui racontent dans leur fond, par la mise en scène à la fois libre et sophistiquée de Bonello, une dimension à la fois très intime et universelle à ses différents propos et surtout au dilemme qui est posé à Léa Seydoux pendant tout le film : garder son humanité malgré toutes les expériences, pour certaines, traumatisantes qui ont forgé cette humanité, ou l’abandonner au profit d’un adn purifié de toute imperfection. Tout le film ne va pas cesser de faire appel à un principe de poétique, l’exagération des symboles dramaturgies, forgeant l’impact de la direction artistique, mais aussi de sa mise en scène et surtout, son écriture. Car pour dériver quelque peu de l’intelligence que j’alloue à tous les créatifs derrière La Bête, je me devais de surtout mettre en avant LE genre ou sous-genre référence du long-métrage, et qui est en soit, déjà celui du matériau de base : la romance, pour ne pas dire le romantisme. Le film parle d’amour, tout l’enjeu du long-métrage se révèle petit à petit être l’amour, et le metteur en scène arrive selon avec brio à faire converger tous les éléments de son film vers ce point précis, ce but, cette thématique, cette tonalité, voire cette caractérisation pour le personnage de Gabrielle, qui transcende par son développement singulier un genre pourtant codifié mais auquel Bonello adresse toutes ses lettres de noblesse.

  • La Bête est un récit qui utilise l’anticipation pour créer une intime complexité

J’ai essayé de rester assez factuel dans les différents exploits esthétiques qu’arrive à accomplir Bonello avec son dernier film, maintenant je souhaite mettre en avant le fond de son long-métrage, creuser en profondeur ce qui fait de La Bête, pour moi, un chef-d’œuvre aussi complexe que complet, à commencer par son rapport avec le cinéma de Science-Fiction. En plus de l’attache humaine que j’ai ressenti pour Gabrielle, les différents mouvements temporels sont aussi terriblement stimulant grâce à une attention aux détails totalement hors normes qui renouvelle pour ma part totalement les thématiques principales abordés par La Bête, comme son mélange des genres jusqu’à son propos sur la réminiscence ou l’amour contrarié. Difficile de voir venir, jusque dans l’intérêt de la scène d’intro, le but précis alloué à certains détails, la présence abondante de pigeons, la question de la voyance, la peur de voir fondre une bête qui est le sujet de certaines discussion, et j’en passe, le genre de phrases ou d’éléments du décor qui semblent ne pas faire sens au premier regard, qui renforcent ce sentiment d’étrangeté voir de malaise, mais qui, petit à petit, prennent un sens bien plus grands dans la psychologie et l’intimité de Gabrielle. Un énorme pari, qui a complètement marché sur moi, et qui a rendu le visionnage hautement jubilatoire, voyant petit à petit le fil se dérouler et devenir de plus en plus palpitant dans son déroulé. Le metteur en scène brouille les lignes temporelles et humaines pour transcender son matériel de base, pour ne pas dire sa prémisse, et offre une expérience de cinéma déroutante mais pour ma part orgasmique. En effet, passé les premières minutes déconcertantes, quand j’ai compris que Bertrand Bonello allait jouer avec les nerfs de son spectateur, j’ai réellement commencé à m’immerger dans ce labyrinthe mental plutôt qu’à essayer de tout rationaliser, de tout comprendre, et j’ai laissé tous les éléments venir à point nommé pour me les manger dans la gueule. C’est en grande partie grâce aux nombreuses pistes lancées par le réalisateur, qui m’ont gardé constamment captivé et en alerte, j’étais actif pendant mon visionnage, mais aussi et surtout, parce que Bonello ne nous encombre pas d’explications et son film certes complexe, arrive à être étonnement subtil et même très émouvant, en dehors du carcans de certains métrages embourbés dans leur installation trop théorique. Il arrive à condenser toutes les règles de son univers dans ses 30 premières minutes, et passe les 2 heures suivantes à jouer avec, à exploiter toute la moelle de son univers et surtout du potentiel narratif de son intrigue basé sur la réminiscence. Et plus que de simplement jouer avec son univers, il embarque son spectateur dans la psychologie de son héroïne, mais ose aussi aller au bout de sa démarche et sa radicalité. La bête est pour moi un pur thriller psychologique, dans le sens où on plonge dans la psychée de Gabrielle, au point de voir la réalité se plier à sa conscience ; et plus que de créer du suspens par le biais de ce concept, Bonello créé du grand cinéma. Il adresse même selon moi son récit d’anticipation, bien plus du côté des répercussions intimes que d’un univers géopolitique comme dans Mars Express par exemple (pour citer un autre très bon film de s-f français récent), car au final, tous les enjeux liés à l’IA, toutes les règles qu’applique Bonello à son univers, etc, tout ça, nous le suivons avec Gabrielle… seule. Plusieurs scènes de l’époque 2044 suivent Léa Seydoux littéralement seule, jusqu’à une salle d’interrogatoire profondément Lynchéenne, où rien de palpable ne semble coexister autour, je pense aussi à ces multitudes décors vides, et dépouillé, qui renferment pourtant cette machine à purification d’ADN aussi gothique que que froide, ou même à cette boîte de nuit rétro (car même en 2044, c’était mieux avant) où malgré la foule, Gabrielle ne trouve son chemin que dans des recoins infréquentés, jusqu’à sa scène finale qui va vous foutre les frissons à ce niveau (même si bien plus dans un rapport de mise en scène) ; maintenant que j’y pense, un peu comme cette scène d’intro qui installe pourtant tellement d’autres choses… Ce que j’aime vraiment dans La Bête, c’est qu’au-delà de voir se dessiner un récit extrêmement complexe, Bertrand Bonello arrive à dresser un récit d’anticipation nouveau, qui vient renforcer l’empathie que j’ai pu avoir pour Gabrielle et non voir Gabrielle s’adapter à son environnement, pour simplement découvrir avec curiosité un énième univers utopique mais aussi dystopique. Et ce brouillage temporel, cette expérimentation de l’ordre sur scripte, elle est selon moi la cerise sur le gâteau, et venant à la fois radicaliser mais surtout accroître les émotions du long-métrage, de sa puissance évocatrice à ses propos aussi âpres qu’intimes.

Je parle beaucoup des qualités narratives de La Bête, et pourtant il me paraît indispensable de parler en second temps, aussi, de ce qui pour moi saute aux yeux devant le dernier long-métrage de Bertrand Bonello : ses qualités visuelles. En effet, ce dernier continue d’à la fois créer des images extrêmement léchées, mais surtout à expérimenter toujours plus avec sa caméra, autant dans la mise en scène pure et dure que dans des images purement stylistiques, qui viennent créer un sentiment de trouble et d’étrangeté à un long-métrage déjà pourtant extrêmement complet. C’est d’autant plus remarquable dans son rapport à cette narration, qui devient d’autant plus perturbante mais aussi passionnante à suivre, en grande partie grâce au travail sur le montage qui appuie une grande partie des forces de La Bête ; mais aussi sûrement, ce qui rend le long-métrage hautement déroutant et radical dans sa forme. Le montage de La Bête est en lui-même très calme, et participe au rythme plutôt lent du film, comme dans de nombreux autre films de Bonello je trouve, à commencer par Nocturama qui a beau filmer une situation de haute tension pendant la majorité de son déroulé, ne joue pas dans le domaine de l’esbroufe à ce niveau. Car clairement, le réalisateur ne prend pas par la main son spectateur, à c’est à lui de rentrer dans le long-métrage, en grande partit car comme dit plus haut, le visionnage devient actif, et sans pour autant devenir ludique, La Bête devient un exercice formel très passionnant dans son déroulé, semblant observer comme le spectateur, la déambulation mentale de Gabrielle, entre la fascination et la curiosité presque malsaine de suivre tout son cheminement. Pourtant ce qui est le plus déroutant mais surtout passionnant dans La Bête, c’est bien sa manière de créer des visuels à la fois étrange et singuliers, mais aussi, accrocheurs, alimentant dans sa direction artistique globale, encore plus la psychologie de son héroïne et la thématique de réminiscence. Dès l’introduction, en plus de surprendre son spectateur par le contexte historique presque contraire au genre de la s-f, il brouille les pistes temporelles en filmant des personnages en costume dans des décors presque trop proches d’une réalité contemporaine ; tel que la présence abondante d’électricité. Même en 2044, ces décors d’intérieur font bien plus penser à des monuments historiques qu’à des décors de science-fiction, ce qui accentue encore plus le brouillage temporel et psychologique, mais qui, visuellement, donne à voir une manière encore plus singulière qu’attendu, un renouvellement de la science-fiction, à la fois beaucoup plus resserré dans son dispositif, mais pourtant beaucoup plus large dans son propos de fond et surtout son attache à la psychologie de Gabrielle. Notamment en 2044, la salle d’interrogatoire profondément Lynchéenne que je citais plus tôt, vient pour moi totalement en adéquation avec mon avis, puisqu’en plus de raconter quelque chose du personnage, cette salle jout sur les différentes règles de montage et son visuel aussi hypnotique qu’inquiétant, pour donner un sentiment d’étrangeté, de malaise, à une situation sur le papier anodine ; voir réconfortante grâce au travail sur la voix of assez démentiel. On ne sait jamais précisément où se situer, et encore moins quand, au milieu de son geste esthétique, le metteur en scène vient brouiller non seulement le temps, mais aussi la réalité ; en brisant le quatrième mur par la présence d’une vidéo found footage, mais aussi en amenant un élément trop réel venant se confronter à cette pure fiction. C’est personnellement LE moment où j’ai compris que ce film allait monter TRÈS haut dans mon estime, car j’y voyais une démarche à la fois extrêmement radicale, risquée, mais aussi passionnante en perspective. L’adaptation presque trop fidèle à l’original créé un trouble total pour ma part sur la seconde moitié du long-métrage, qui au-delà de ses audaces visuelles, créé un cadre et une mise en scène beaucoup plus terre à terre, dans laquelle vient se disperser des échos aux scènes passées, de ce tournage pour une publicité au retour d’un personnage de voyance. Des échos qui viennent se croiser au sein de cet espace mental, et converger quelque soit leur signification vers un but bien précis, celle de dépeindre une crainte liée à ces catastrophes historiques, contemporaines, et désormais d’anticipation. Et c’est là où La Bête prend sa pleine puissance poétique : il est cette menace monstrueuse venant créer un enjeu, un danger, à cette romance qui va virer à la tragédie. Et il prend sa pleine puissance dans ses audaces visuelles et stylistiques, dans ses faux espoirs, ses jeu avec des bugs vidéos et ou audio, ses installations de séquences prémonitoires, à l’allure presque fantomatique et extrêmement déroutante, etc. Le metteur en scène, avec ses outils esthétiques pose des questions sur la narration de son film à son spectateur, et plus que ça, il accompagne ses réponses avec de pures audaces visuelles, des idées qu’il faut avoir le culot de proposer au spectateur, qui peuvent ruiner tout l’investissement des spectateurs ou au contraire, garantir leur intérêt. Toutes ces audaces viennent en adéquation avec la complexité du long-métrage, elles font à la fois le zèle du film en lui-même, son imprévisibilité, et surtout sa place à part dans le monde de la science-fiction, en posant des questions déjà vue sur le monde de l’intelligence artificielle notamment, mais en y répondant avec un culot et une imagination totale qui créer toute la radicalité de La Bête

  • La Bête est un grand film romanesque, à l’âpreté bouleversante

Vous l’aurez compris, pour moi La Bête est un grand film d’anticipation qui rebat les cartes de ce genre pour créer une œuvre aussi singulière qu’imprévisible, qui pourtant n’oublie pas une chose qui me paraissait essentielle : être un grand film romanesque. J’ai parlé plus en détail tout à l’heure, du lien entre la psychologie de Gabrielle, et la direction artistique, le fond venant se corréler à la forme du long-métrage, mais il y a un point que je n’ai pas soulevé dans l’écriture de La Bête et qui vient selon moi, donner au film son statut d’œuvre bouleversante ; autant esthétiquement qu’émotionnellement parlant. Cette idée (pas nouvelle mais servie avec une grâce peu commune), c’est celle de lier le traumatisme humain, comme dirait les IA du film, avec la catastrophe historique, qui devient profondément intime. La date de 1912 n’a par exemple pas été prise au hasard, puisqu’il s’agissait alors de la période des inondations parisienne, servant d’abord de contexte historique, mais qui va petit à petit infiltrer l’intimité de Gabrielle, et rendre encore plus troublant ce La Bête qui revisite l’Histoire, créant un univers à part de notre réalité mais en même temps terriblement proche. A la fois car il vient lier une intrigue de s-f à des événements historiques, donnant un sentiment de crédibilité à tout ce bazar, mais surtout, car permettant de renforcer notre lien avec le personnage de Léa Seydoux, dont le destin peut sembler bien plus proche des spectateurs qu’escompté pour un film de genre. Je n’irai pas trop loin dans les détails, mais il me paraît évident de devoir corréler cette idée avec la question de l’intelligence artificielle, voire du transhumanisme, qui irradie La Bête, et qui pour moi, vient se nouer avec le (maintenant second) meilleur long-métrage de Bertrand Bonello : Nocturama. Déjà dans ce film, le bonhomme avait parlé d’un sujet chaud bouillant dans l’actualité, sous un angle comme à son habitude, radical, mais d’une manière que je jugerai de tristement iconoclaste, en particulier sur la question du terrorisme. Ici, il parle d’un thème qui pourrait s’apparenter à la science-fiction, l’IA, mais qui va devenir sous peu un outil du quotidien, et le réalisateur arrive pour la seconde fois, non à pas à prédire des événements utopiques ou dystopiques, mais à mettre le doigt pile au bon moment, sur ce qui en fait un outil dramaturgique. Particulièrement, à mettre en scène à la fois le caractère idéaliste de ce qui se rapproche de transhumanisme, mais aussi, son caractère inquiétant, et ce en gardant une vraie ambiguïté tout du long. De la mise en scène à l’écriture, le film est calme, mais de manière presque trop sinistre et il met le doigt sur un sentiment nuancé assez universel. La bête fait peur à Léa Seydoux, et en retour, elle s’incarne dans ces catastrophes comme une peur là aussi universelle, qui s’incarne à l’écran et donc au spectateur. Une peur alimenté justement par le genre premier auquel se réfère La Bête : la romance. Ce qui fait de nous des humains, l’amour, du coup de foudre le plus irrationnel aux relations plus ou moins toxiques, l’amour est ce qui est menacé, pour le pire et le meilleur par l’Intelligence artificielle, qui promet d’édulcorer l’humanité et donc aussi le sentiment amoureux. Dès lors, l’ambiguïté du film devient presque plus moteur du récit que le dilemme posé à Gabrielle, et tout le principe de poétique vient d’autant plus rendre bouleversant et passionnant le visionnage de La Bête. Les flammes se déployant dans cet atelier de poupée, le tremblement de terre qui vient troubler la vie de Gabrielle, et j’en passe, tous ces événements viennent donner une puissance évocatrice et émotionnelle assez dingue à ce qui est finalement un mélodrame, un long-métrage débordant de mélancolie mais aussi de tragique face à la menace de cette bête, qui prend différentes formes, mais qui vient incarner toutes les angoisses de Gabrielle, et in extenso du spectateur. Et là où le tragique est extrêmement touchant, aussi simple qu’âpre, c’est qu’il boucle, car c’est ce qu’est La Bête : une boucle. Tous les détails se croisant, les différentes lignes temporelles, et j’en passe, tout ça pour au final, une fin à chaque fois tragique, presque pessimiste, et qui m’a personnellement détruit le cœur.

J’arrive sur les dernières lignes de ma critique de La Bête, et il me paraît évident de placer dès à présent des mots, sur non pas ce que j’ai à dire de ce long-métrage, mais de ce que j’ai ressenti. Car contrairement à mon habitude, je n’ai pas cherché la petit bête ici, au contraire, j’ai essayé du mieux que possible de disserter tout ce que le long-métrage avait dans le ventre, tout ce qui faisait que, de sa mise en scène à son écriture, rien ne me semblait laissé au hasard, si ce n’est celui de tomber sur des spectateurs plus ou moins réceptifs. Et justement, j’ai essayé de disséminer petit à petit dans ma critique, ce qui fait selon moi la grande force de La Bête et du cinéma de Bonello en général : c’est du cinéma radical qui repousse les conventions narratives et visuelles pour proposer des œuvres aussi mal aimables que marquantes. Pour ma part, La Bête est un alignement des astres, tout m’a semblé être réuni pour créer un chef-d’œuvre, et le talent de tous les artistes, comédiens et techniciens, ce mélange d’imprévisibilité, pour ne pas dire, de trouble, pourtant totalement maîtrisé par le biais d’une technique virtuose, j’ai vu en La Bête le chef-d’œuvre auquel j’ai rêvé à demi-mot, d’autant plus en creusant petit à petit tout ce qui rend le long-métrage aussi passionnant dans le fond comme la forme. Je pourrai m’arrêter au fait que j’ai trouvé que Léa Seydoux, que j’aime avec toute ma sincérité, donnait le rôle de sa vie, que son duo avec George MacKay donnait à voir un échange magnétique qui rendait le long-métrage d’autant plus captivant. Que le reste de la distribution était parfaite, autant dans cette froideur presque déshumanisée que dans la création de visages plus iconiques, qui renforcent l’univers visuel global de La Bête ; en mettant particulièrement une pièce sur Marta Hoskins, qui m’a filé des frissons. Je pourrai simplement vous dire que cette photographie chromée, discrète mais très efficace a su imprégner ma rétine des images tout simplement inoubliables, couplées à de fortes émotions. Que cet amoncellement de détails m’a paru tout simplement jubilatoire dans la création de ce labyrinthe mental aussi troublant que passionnant, ne m’ennuyant jamais sur ses 2h30. Je pourrai vous dire que j’ai été simplement halluciné par le mélange des genres, et que les références et thématiques abordés par le film, autant dans leur prémisse que développement, sonnent à fois comme de l’audace et du génie. Que la bande originale est comme d’habitude avec le monsieur, un point fort, etc. Ce que je finirai par dire, c’est qu’au-delà d’avoir été touché comme rarement par tous ces éléments, j’ai aussi été ému par les notes d’intention de Bonello. Promis ça a un lien avec de l’esthétique, ce n’est pas juste pour complimenter ce grand artiste, mais j’ai rarement été aussi confiant de tenir ce qui serait pour moi un grand film après son passage. Car ce que je retient de Bertrand Bonello, c’est qu’il a su créer du débat, il a su mettre les mots sur des points sur lesquels je doutais, mais il a surtout su ouvrir des portes, il a su rester ouvert à toutes les interprétations de ce film monde, de ce qui est pour moi un film somme ; mêlant autant de personnages, de maximes, de références, et j’en passe aux précédentes œuvres du metteur en scène, sans que ce dernier ait tout conscientisé. Et c’est pour ça, qu’au-delà de ce que j’ai pensé du film, je suis sûr d’une chose, c’est que La Bête réussit à muer toutes les obsessions de Bertrand Bonello, qu’il arrive à lier avec ses qualités de metteur en scène, pour accoucher d’une œuvre somme qui lui correspond totalement, qui réussit à la fois à être totalement singulière et radicale dans sa démarche pour être hors des normes, et en même temps suffisamment libre d’interprétation, suffisamment humaine et suffisamment prenante pour avoir de l’empathie envers ce projet, et pour ma part, une passion totale. Je trouve que Bonello a réussit comme jamais à créer une œuvre personnelle, qu’il a su corriger, réécrire et repenser depuis longtemps, qui a su maturer entre le début de phénomènes tels que les incels ou même la mort de Gaspar Ulliel (envers qui le film est dédié) tout ce qui pouvait faire un grand film, j’ai eu le sentiment qu’il touchait juste constamment, et qu’il laissait derrière lui un très grand film qui donne le vertige et qui continue de me hanter encore après sa projection. Ce film me hante car je n’ai pas simplement eu le sentiment de voir une œuvre me parler sur quasiment tous ses aspects, j’ai eu le sentiment de voir un très grand film venir autant me passionner que me chambouler, avec une toute dernière scène juste déchirante, qui à autant à voir avec l’âpreté du reste du film que la simplicité de cette fausse romance, sur la difficulté voir l’impossibilité d’avouer ses sentiments amoureux, raconté d’une manière hors normes et sans, semblait-il, le moindre hasard. J’ai encore beaucoup de questions sur le film, mais il y a une réponse que j’ai reçu, à la fin de ma séance, et que je placerai ici : c’est bien partit pour être l’un des films les plus important de la décennie.

Comment conclure après tant d’éloges ? Merci, voilà tout ce que j’aurai à dire, merci Bertrand Bonello de réaliser des films aussi hors normes, qui créé autant de débat que de moments intenses et inoubliables, autant pour la rétine que les tympans, et surtout du cinéma aussi radical dont on ne peut jamais savoir à l’avance si l’on en sortira circonspect ou amoureux. Merci à Léa Seydoux d’exister tout d’abord, je n’ai pas assez mis en avant son immense talent ici je pense, j’ai un amour infini pour cette actrice et elle vient magnifier ce qui est selon moi son plus grand rôle, son plus passionnant, troublant et magnétique. Merci à Heorge MacKay d’avoir su prendre la relève de Gaspar Ulliel, de compléter admirablement cette tragédie humaine le tout avec des rôles extrêmement risqués. Merci à toutes les personnages ayant pu rendre ce long-métrage possible, des producteurs comme Xavier Dolan, qui continue d’être dans les bons coups, que tous les techniciens qui ont participer à la création d’une œuvre hors des normes mais extrêmement abouti sur quasiment tous les points. Merci à tous ceux ayant participé à l’élaboration de ce long-métrage, qui aura comme meilleure qualité de pouvoir créer du débat, et de continuer de m’obséder plusieurs mois après le visionnage. On va s’arrêter là, mais mon amour la Bête ne s’arrêtera jamais je pense, je me porte garant comme un de ses plus grand défenseur, et j’espère qu’il saura marquer l’Histoire du septième art. Il a en tout cas marqué ma cinéphilie, voir ma vie.

Vacherin Prod

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Les Temps d'aimer et les Temps de mourir !

J'ignore si un réalisateur avait eu l'idée auparavant ou non de mettre un QR code pour figurer le générique de fin. En tous les cas, si on doit cela à Bertrand Bonello, chapeau. Je regrette le fait...

il y a 3 heures

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