Faux et mouvements
L’art est affaire d’expression : mener vers l’extérieur une émotion, qui souvent relève de la nécessité quant à sa formulation. Dans cette approche résolument cathartique, un certain nombre de sujets...
le 30 mai 2022
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L’art est affaire d’expression : mener vers l’extérieur une émotion, qui souvent relève de la nécessité quant à sa formulation. Dans cette approche résolument cathartique, un certain nombre de sujets indicibles hantent les œuvres, au premier rang desquels on trouvera bien évidemment la Shoah. La question de la forme y devient alors cruciale, puisqu’il s’agit de mettre en image sur le pan esthétique, tout en s’astreignant à une incontournable éthique du regard. Kornél Mundruczó et Kata Wéber, couple à la ville et dans la création, après avoir abordé l’insondable douleur de la perte d’un enfant dans Pieces of a woman, prennent à bras le corps la grande béance historique du génocide et ses répercussions sur les générations suivantes : une Evolution, donc, en trois segments, trois plans-séquence (dont certains discrètement raccordés), un trait stylistique caractéristique du cinéaste.
Le premier surgit des soubassements de l’Histoire, pour une introduction suffocante à la limite du soutenable, durant laquelle des hommes nettoient un abri souterrain dans lequel surgissent progressivement des fragments de l’horreur, jusqu’à des dimensions proprement cauchemardesques. Immersion dans un mausolée encore chaud et durant laquelle aucun mot ne pourra convenir, si ce n’est le cri d’un nourrisson qui permettra une remontée vers l’extérieur, et la suite du parcours. Le deuxième segment quitte le lieu originel et s’attache au travail de la mémoire à travers le destin de l’individu devenue une femme âgée dont l’identité reste balafrée, et qui affirme vouloir être une vivante plutôt qu’une survivante. Mais, là aussi, le mouvement circulaire de la caméra autour d’elle et sa fille enclenche un dynamique nauséeuse et l’explosion, au sens propre du terme, de tout ce qui ne peut sortir que par bourrasques incontrôlées : du corps, et du bâtiment lui-même, dans un ahurissant apogée qui hurle à quel point le passé ne passe pas. Ce sera l’objet du troisième segment, où la génération suivante s’émancipe par les élans de l’adolescence et de la contestation identitaire pour imaginer une voie de traverse : une balade amoureuse œcuménique, en somme. La question de la mémoire prend une tournure moins évidente, car le jeunesse trace aussi son chemin par des dénis iconoclastes. Mais la réponse de celui qui les contemple et les suit relève de l’évidence : le retour à la vie et l’affirmation de soi passeront inévitablement par le mouvement.
(7.5/10)
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Le 30 mai 2022
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