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La brillante ouverture de The Killer marque comme il se doit le retour aux affaires de David Fincher après la parenthèse austère et cinéphile de Mank. Après un générique qui renoue avec la noirceur...
le 11 nov. 2023
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« Stick to the plan. Anticipate. Don’t improvise. » Le mantra répété à de nombreuses reprises par le Killer nous le place immédiatement comme un personnage ultra-professionnel, caméléon, capable de se dissimuler dans l’environnement afin d’accomplir son activité morbide en toute discrétion (pas de nom, une silhouette passe-partout, il est invisible au milieu de tout le monde). Du moins le croit-il. David Fincher, en adaptant la BD signée Matz et Luc Jacamon, va s’intéresser à la manière dont le plan va déraper, empêchant son protagoniste de faire corps avec le network et de disparaitre.
Comme le montre la longue séquence d’ouverture, c’est par l’observation du monde que débute son procédé : à la manière de James Stewart dans Fenêtre sur cour, il observe le quotidien et scrute les habitudes de ses congénères. Il analyse l’environnement pour mieux l’appréhender, pour mieux tirer profit des déplacements de sa proie et tirer la balle que personne n’aura vu venir. Seulement contrairement au personnage chez Hitchcock, dont l’attitude était dictée par le voyeurisme et donc par ses pulsions humaines, notre individu va chercher à être une sorte de robot, de figure désincarnée mais lucide, capable d’agir froidement, sans émotion. Une attitude qui relève du cliché ridicule, comme ses mantras qu’il répète à l’envi, et qu’il ne l’empêchera pas de commettre des erreurs (il rate sa cible), de se soumettre à ses pulsions (il se venge du traitement enduré par sa compagne), ou d’être un humain tout simplement.
Mathématique, rôdé comme du papier à musique, le cinéma de Fincher tourne à l’exercice de style, épurant l’univers de série B vers une forme d’abstraction afin d’observer au mieux la perte de contrôle de son personnage. Plus le récit va évoluer, plus les fameux mantras vont être malmenés, plus notre personnage sera motivé par les émotions et non par l’argent. “Profit”, “argent”, “rentabilité”, il voulait être un pur produit du capitalisme, capable de le maitriser jusqu’à faire corps avec lui, mais c’est sans compter sur ce qui reste en lui d’humanité.
Cette perte progressive de maitrise est rendue perceptible par Fincher qui va éroder progressivement son image “inhumaine”. Une image que notre individu fait tout pour contrôler, comme lors de la séquence d’ouverture évidemment (contrôle des émotions, du rythme cardiaque...), mais également lorsqu’il se déplace dans le monde, sans se cacher (il mange un hamburger sur un banc, loue une voiture chez Hertz, etc.). Par son contrôle, par sa manière de changer d’identité et de lieu, il pense être un fantôme au milieu de la matrice, un être d’exception invisible aux yeux des autres. Un sentiment que les chansons du groupe The Smiths vont faire ressentir implicitement à l’écran. Une maitrise qui va se gripper peu à peu, mettant à mal son image de “fantôme”, “d’individu parmi tant d’autres” : échec dans ses missions, colère à l’égard de ses employeurs, traces de coups sur son visage... notre individu peine à se fondre dans ces décors pourtant revisités (aéroport, avions...), il est gagné par ses émotions comme le souligne la bande-son qui passe de The Smiths à Trent Reznor & Atticus Ross.
Une perte de maitrise du personnage à laquelle Fincher tente d’associer une réflexion sur le monde capitaliste. Notre personnage, en effet, va traverser différentes villes qui seront de plus en plus grandes, dopées par l’argent, et qui s’avéreront d’autant plus menaçantes pour ses “mantras” (les coups pris dans une bagarre empêcheront d’ailleurs leurs formulations). La séquence avec Tilda Swinton est en cela caractéristique, puisque l’argent sera d’abord un terrain d’entente entre le tueur et sa cible, avant que les émotions et les motivations personnelles ne reprennent le dessus. Un monde capitaliste dans lequel le tueur va tenter de survivre en adoptant sa logique, ses tics, ses comportements déviants : en surconsommant (des marques, des trajets en avion...), en gaspillant (en jetant sans cesse les objets, les téléphones...), en devenant une sorte d’éboueur sans état d’âme (il commettra son délit déguisé de la sorte). Un monde dans lequel l’usage de l’outil numérique - un moyen non humain – lui permet d’ailleurs d’obtenir ce qu’il cherche, à savoir se fondre dans l’environnement (il se déplace avec Google Maps, résout des problèmes par des achats sur Amazon...). L’individu pour habiter un tel monde, nous dit Fincher, doit renier son identité (ses émotions, son nom), et devenir un calculateur, un consommateur, un exécutant...
Ainsi, le cinéaste poursuit ce qu’il avait déjà initié dans The Social Network ou encore Gone Girl, à savoir exprimer un sentiment d’emprisonnement dans un monde de plus en plus déshumanisé. Une démarche qui, cette fois-ci, peine à convaincre véritablement car, par manque d’audace ou de folie, en étant soi-même trop robotisé ou schématique, Fincher n’arrive pas à creuser la dimension “existentielle” de son film et reste bien trop souvent à la surface des choses. Reste un exercice de style froid, intellectuellement cohérent, mais dont le manque de chair ne lui permet pas de marquer durablement l’esprit du spectateur. Dommage car certaines scènes sont plutôt malignes, comme cet happy-end en tout point ironique dans lequel l’homme va finir par se diluer, captif à tout jamais du cliché consumériste.
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Le 11 novembre 2023
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