Après la parenthèse Yannick qui donnait la part belle au spectateur exigeant, Dupieux retourne du côté des projecteurs et s’intéresse à Dali, phénomène du surréalisme et vivier inépuisable pour un cinéaste ayant régulièrement puisé à cette source. La structure éclatée qu’il a déjà expérimentée sur Mandibules et surtout Fumer fait tousser sied à merveille à l’univers du peintre, qui, ayant fait de sa personnalité l’œuvre la plus excentrique, se voit incarné ici par cinq comédiens différents. L’occasion d’un défilé de cabotinage dans lequel la comparaison sera inévitable, et qui distinguera clairement Edouard Baer et Jonathan Coen, deux personnalités fortes qui acceptent pour une fois de réellement jouer quelqu’un d’autre qu’eux, ce qui ne manque pas d’ironie lorsque constate qu’il s’agit surtout de transférer l’ego trip en lui donnant panache et accent.


Tout ce petit monde s’amuse beaucoup, et c’est bien là l’une des qualités premières du cinéma de Dupieux que de partager ce plaisir de tournages courts, où les comédiens les plus en vues se précipitent, dans de joyeuses festivités où l’on baisse la garde au gré des délires d’un pygmalion qui tâtonne, et regarde avec le sourire ses tableaux prendre forme. S’il défend toute tentative d’interprétation de son cinéma, qui n’aurait pas vocation à être analysé ou dépositaire de messages profonds (tout l’inverse, en somme, de la pose de Dali), Dupieux n’aborde pas moins les coulisses du monde de l’art et surtout du cinéma, notamment dans les rapports de l’artiste aux caméras et la quête d’une journaliste pour obtenir des entrevues, Romain Duris se chargeant d’une satire assez amusante du producteur oscillant entre incrédulité, mégalomanie dépensière et rage cruelle. Et, autour de cette petite ruche bourdonnante de vanité, les petites mains, du jardinier à la maquilleuse joyeusement pelotée par le maître, en passant par les figurants des tableaux et les techniciens de plateaux, le plus souvent consternés par les caprices excentriques venus enrayer la machine.


Le film pourrait s’en tenir à cette joyeuse chronique mâtinée de pastiche s’il ne convoquait pas la structure d’un des meilleurs de son auteur, à savoir Réalité. Sur le même canevas – un tournage sans cesse différé pour le personnage dont l’existence vire au cauchemar - la fiction en abyme phagocyte progressivement le cadre, ici le rêve du prêtre qui ne cesse de s’achever pour contenir une nouvelle couche de réalité. Un vertige assez stimulant, qui ne reprend certes pas la tonalité anxiogène du film de 2014, mais partage encore avec lui cette ritournelle musicale obsessionnelle (ici composée par Thomas Bangalter), qui amuse comme le ferait un comique de répétition, et déstabilise au point d’installer un discret climat d’inquiétude. Et prouve que Dupieux poursuit, en sourdine, l’exploration d’invariants qu’il parvient toujours, pour le moment, à contempler du côté lumineux de la farce.


(7.5/10)

Sergent_Pepper
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Le 12 février 2024

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Sergent_Pepper

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