Brutalité des armées, débilité des soldats, n'en jetez plus : le corps armé en prend pour son grade, et Holland rappelle régulièrement à quel point les hommes qui le constituent sont des chiens. Il y a une scène où des militaires jettent une femme enceinte par dessus des barbelés, une autre où ils font usage de la menace sur une civile pour qu'elle révèle les endroits où se cachent les réfugiés, encore une autre où ils brisent le thermos de migrants pour qu'ils en boivent le verre cassé. Ils ne peuvent pas représenter l'humanité ; d'ailleurs, ils affichent de grands sourires pervers lorsqu'ils mettent une femme à nu avant de lui faire une fouille.


Parallèlement, Holland dresse le portrait de jeunes engagés d'une association humanitaire, qui surviennent au secours des migrants, au péril de leur situation professionnelle et sociale, pour leur donner l'asile en Pologne. Leurs méthodes sont droites, et quand la légalité ne suffit plus, ils deviennent des héros de la justice, pleins d'impertinence et de fierté (ah ! qu'ils sont braves), défendant la veuve et l'orphelin : ils sont justes, et ne peuvent avoir tort.


Certes, le film est un peu plus subtil que ce que cette peinture sardonique en résume, et quelques détails viennent nuancer la situation (on verra ainsi un militaire prendre le chemin de la rédemption), mais le propos global est si lourdement tenu et dégueulé que c'est le malaise qui prime. Les schémas, radicaux, appellent en permanence à la compassion et l'approbation (comble du chantage : on vous fait assister à la mort d'un enfant migrant) du spectateur, comme un paragraphe argumenté d'un collégien chercherait à soutenir que les droits de l'homme, et bien c'est important. Qui ne pourrait être d'accord avec le fait que voir des gens mourir dans la forêt en plein hiver, c'est insupportable ? Qui pourrait être ami avec un sergent d'instruction qui explique que "les migrants ne sont pas des gens, mais des balles vivantes tirées par l'est" (sic) ? Qui ne prêterait pas assistance à une femme enceinte ?


A cette assommante litanie de clichés vient s'apposer une mise en scène, comme souvent chez Holland, efficace, mais qui ne révèle pas non plus un sens poussé de l'esthétique : c'est là un problème de cinéma contemporain, et plus encore de cinéma militant, les intentions morales passent toujours avant les intentions artistiques. Et ce n'est hélas pas avec ces "meilleures" intentions que le septième art grandira.


Le film est donc un lourdaud pamphlet humaniste, résumant la crise migratoire à la misère de réfugiés face au racisme des pays dans lesquels ils voient l'espoir d'une vie meilleure : quand Holland synthétise dans un épilogue l'hypocrisie polonaise vis-à-vis de la provenance des migrants, on a un peu envie de rire devant la grossièreté de l'argument, mais à la rigueur, pourquoi pas. Ceux qui souhaitent être convaincus le seront, et ceux qui le sont déjà hocheront de la tête. Plus gênante en revanche est la justification du noir-et-blanc (plus gros parti-pris esthétique de ce film, qui n'en a pas beaucoup) que tient Holland : il faudrait rappeler les anciens films, les anciennes époques, et particulièrement (suivez bien du regard) les ignominies que le vieux continent a perpétré entre 39 et 45. Désolé, mais non ! Avoir peur de la crise migratoire (comme l'ont 40 millions de Polonais, l'un des pays les plus traditionnels de l'Union Européenne), cela peut être pour de bien mauvaises raisons, mais cela ne fait de personne un nazi, et ce n'est certainement pas négociable.


Rendons à Holland ce qui lui revient : son film a fâché la Pologne, ce qui ne peut être une mauvaise chose (la provocation rend souvent l'art meilleur). Elle pourra ainsi voguer de festivals en festivals, où un public accueillant lui rendra des ovations et des applaudissements de circonstance ; mais le constat sur les intentions morales prévaut aussi chez le spectateur : plus nombreux sont ceux qui louent les messages que ceux qui louent le cinéma...

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Le 7 novembre 2023

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