Il était fois une, la histoire émotionnelle de Selene et Mirov, qui sont monsieur et femme, dans une monde toute entière crépusculaire de deux villes gigantesques et d'un amour déçu, où les sentiments de dans dedans des cœurs brisés à eux sont les guides de toi et où tous les gens des personnes parlent un langage mythique oublié des hommes et des dieux : le Google Trad première génération.
Parce que si vous avez trouvé ce paragraphe pénible à lire ou ardu à comprendre, dites-vous qu'il ne rend que timidement compte des abominations non euclidiennes que le programme de traduction automatique fait subir dans ce jeu à la langue de Molière. A une ou deux reprises, j'ai même entendu celle-ci s'écrier « Kyaaaaaaa, oni-chan, yamete ! », ce qui n'est jamais bon signe, à en croire les biologistes marins spécialisés dans l'étude des céphalopodes. Aussi convient-il ici de paraphraser notre ami Dante (mais non, pas "lui". L'autre) : « vous qui comptez y jouer en français, perdez tout espérance » : vous le comprendrez aussi bien en Allemand ou en Italien, même si vous n'avez jamais étudié aucune de ces deux langues. A titre de comparaison, la traduc' canonique de Final Fantasy VII, c'est Baudelaire en super saiyan : en contexte the Silent Swan, « la griffe a été rayée par l'ongle », ça vaut une mention bien au DEUG de traductologie, avec les félicitations de Wejdene et de Francky Vincent.
Je veux dire, attendez, même le Yes – No du « voulez-vous commencer une nouvelle partie ? », ils ont réussi l'exploit de ne pas le traduire correctement. Yes – No. Vous vous rendez compte du niveau de la contre performance ? Yes, ils ont traduit ça par « ouais ». Ouais. Voulez-vous commencer une nouvelle partie ? Ouais – Non. Et pourquoi pas « Z'y va » et « Y'a pas moy' », aussi, tant qu'ils y étaient ? Et quel traducteur automatique en 2023 traduit « yes » « ouais » par défaut, sérieusement ?! Du coup, bon, on n'a même pas encore lancé le truc que la poésie contemplative en prend déjà pour son grade. - Tu m'passes le sel ? - Ouais.
Mais bon, foin de mauvais esprit, repassons tout ça en anglais et faisons comme si on avait rien lu (ouais) : c'est un jeu indé, c'est un jeu petit budget - c'est un premier jeu, même ! -, on peut pardonner ce demi-mensonge, même s'il eut été plus honnête de n'implémenter que l'anglais, plutôt que faire miroiter au joueur non bilingue une version française qui relève de l'escroquerie, compte tenu de la densité des pavés de textes qui jalonneront l'aventure.
Allez, un faux pas, ça peut arriver, l'important, c'est l'ivresse disent les poètes, alors enivrons-nous de ces tons vert de gris et de ces pointes gothiques qui percent dans le lointain : le dos de la boîte nous annonce « l'expérience narrative ultime dans un univers en monde ouvert » (oui, je l'ai acheté en boîte, absolument. Le week-end je monte sur Paris habillé d'un costume en plumes et je me perche sur les toits des cafés pour déféquer sur les passants, c'est dans mon ADN). Alors soit. Va pour l'expérience narrative ultime, même si on ne voit pas bien comment combiner efficacement jeu textuel et monde ouvert, mais hé, s'ils l'écrivent, c'est que ça doit être vrai. Ouais !
Et je suis bien obligé de l'admettre : pour être dépaysé, ça, j'ai été dépaysé. J'ai vu des choses qu'on ne voit que dans les rêves les plus abracadabrantesques, ceux de 14h30 tout de suite après la raclette : des éléments de décor flotter à deux mètres du sol sur lequel ils sont censés reposer, de l'eau s'évaporer quand on s'y plonge, des ombres tourner à contresens de la lumière, des arbres et des murs apparaître soudain à trois mètres de moi comme par enchantement, un coup dans le brouillard et un coup pas, de vastes landes arides aux arêtes polygonées texturées comme du Minecraft, toujours les mêmes quartiers résidentiels copiés-collés à l'infini... Pour vous dire à quel point j'ai été dépaysé : je jouais sur PS5 et j'avais l'impression d'être sur une PS3 ! Non seulement j'ai voyagé dans l'espace (en ligne droite et à deux kilomètres heure), mais également dans le temps ! Et tout ça pour à peine 20 euros ! Mais de quoi je me plains ? Ouais !
Presque dix ans après la claque visuelle d'Ethan Carter, The Silent Swan rétropédale sur le grand braquet (plus facilement que l'espèce de tricycle neurasthénique qu'il consent à nous prêter ça et là pour tenter d'abréger notre calvaire), en proposant un jeu en retard de deux gen' qui ne tourne même pas correctement sur les consoles d'aujourd'hui : freezes à gogo, graphismes sommaires, clipping constant, aliasing, bugs à foison, les fans de Deadly Premonition soupireront de nostalgie, effet madeleine de Proust garanti. N'est-ce pas, Zack ?
Alors oui, par contre, j'admets, vous pouvez aller partout, dans the Silent Swan. Mais d'une part, ce n'est pas le premier walking simulator à le proposer, loin de là, et d'autre part, ce n'est pas non plus celui qui le fait le mieux puisqu'il n'y a rien à voir, nulle part, jamais, sitôt qu'on s'éloigne du chemin balisé par la narration. Rien à contempler, dans un jeu qui se veut contemplatif, ça relève de la faute professionnelle. Ouais. Et attendez, quand je dis chemin balisé, ce n'est pas qu'une expression, hein, les trois quarts du temps, vous marcherez en ligne droite le long (très long) d'interminables (très interminables) routes à sens unique (très unique) dépourvues d'embranchements, parfois pendant une dizaine de minutes non stop, ce n'est pas rare, au son (virtuel, car jamais doublé. Et c'est bien dommage, vu la qualité de la version française, au moins, on aurait bien rigolé) de discussions cryptiques entre le protagoniste et un énième mystérieux-inconnu-qui-semble-tout-savoir-de-lui et dont on devine aisément l'identité véritable, prétexte à un twist éculé cliché comme pas possible, dans un environnement entièrement composé des mêmes cinq ou six assets identiques dupliqués jusqu'à ce que mort de la bienveillance s'ensuive.
Pour vous faciliter la tâche (encore que l'accent circonflexe ne soit pas ici forcément de mise), vous disposerez d'une lampe torche inutile, que vous n'allumerez que parce qu'elle est là et parce que ça vous fera au moins un bouton sur lequel appuyer quand vous serez las de sauter dans tous les sens. Ouais. Dans leur grande mansuétude, les programmeurs vous auront également gratifié de DEUX vitesses de déplacement distinctes : la marche, un poil trop lente, dédiée à la contemplation (on abandonne vite) et la course à pied les deux bras sur le côté façon ninja de Konoha, un ou deux ou trois ou quatre poils trop rapide, qui réduit allègrement à néant le peu de mélancolie que le jeu aurait pu susciter. Vous pouvez également sauter, comme suggéré plus haut, ce qui vous simplifiera bien les choses quand vous en aurez marre de suivre le tracé des ruelles (j'utilise le singulier à dessein, car c'est toujours le même) et que vous voudrez prendre des raccourcis en enjambant les balustrades en mode Yamakazi, portant le coup de grâce à l'immersion promise puisque vous pouvez tomber de mille mètres sans vous tordre la cheville genoux ni que votre personnage ne s'en étonne jamais. Tout en souplesse, les inducteurs. Ouais. Bon, du coup, une fois que vous avez compris que vous ne risquez rien, pas parce que c'est raccord avec l'intrigue mais parce que ça faisait encore un truc de moins à programmer, vous allez toujours au plus court et votre exploration des lieux ne ressemble plus dès lors à une promenade onirique dans un univers en déliquescence, mais à un speed-run sans âme en mode admin. Ne manque que le thème principal de Benny Hill et on est bon. Ha, et vous ne pouvez pas vous noyer non plus, parce que ça aussi il aurait fallu le programmer, donc vous pourrez marcher au fond de l'eau comme si de rien n'était (et ce n'est pas qu'une expression, puisque rien n'y sera : ni cailloux, ni algues, ni poissons, ni textures). Tout au plus pourrez-vous passer à travers le décor en sautant sur une plateforme qui n'existe pas, bien que vous la voyiez pourtant distinctement, et aller visiter des parties du jeu non finalisées sans que vous puissiez vraiment faire la différence avec le reste des décors.
Quelques vagues énigmes environnementales jalonneront votre route, pas plus de trois ou quatre en tout et qui ne nécessiteront aucune réflexion, et à peine plus d'exploration, juste de quoi ralentir artificiellement la progression, histoire que vous ne finissiez pas l'aventure en trente minutes pour passer à un autre jeu mieux programmé. Ouais.
Quant au scénario, il part sur de bonnes bases (excellentes, même) mais plutôt que de développer celles-ci, qui seront reléguées à l'arrière plan, on préfère nous convier à vivre une énième quête de l'âme-sœur en voix off, dont on ne s'émeut pas beaucoup tant elle est sirupeuse et convenue, le genre de délires romantico-obsessionnels sur le grand-amour-qui-n'en-est- pas-réellement-un-mais-chut-il-ne-faut-pas-spoiler qu'on nous a déjà servi mille fois sur un plateau de guimauve dans un grand verre de sirop grenadine. Pensez-vous que l'histoire serait compréhensible pour autant ? Que nenni, ouais ! Parce que si vous ne suivez pas scrupuleusement la ligne droite qui vous est tracée et si vous tentez d'aller voir ailleurs si l'intérêt du jeu y est, vous déclencherez les scripts textuels dans le désordre et gloubiboulgiserez votre temporalité : certain segments vous parlerons au passé de choses que vous n'avez pas encore accomplies, d'autre reviendront sur un événement depuis longtemps plié, mais comme s'il venait d'arriver. Ha non mais ultime, l'expérience narrative. Ul-time. Et oui (pardon, je veux dire : ouais), bien sûr, d'autres walking simulators en font tout autant de leur côté sauf qu'eux ont eu le professionnalisme de penser leur récit en fonction de cet éclatement littéraire, de manière à ce qu'on puisse aborder le puzzle dans n'importe quel ordre sans être jamais lésé, ce qui n'est pas le cas ici. On sent d'ailleurs jusque dans son dénouement l'influence des jeux de Szymanski (The Music Machine, notamment, jusque dans l'esthétique et le monde ouvert) sauf que lui est tout seul à bord et qu'il sait gérer l'espace et le temps de ses récits interactifs de manière à servir son oeuvre.
Alors quand en plus, le jeu vous plante votre sauvegarde à vingt minutes de la fin (conseil aux imprudents : ne sauvegardez surtout pas après avoir remis le courant dans le parc d'attractions !), et vous oblige à tout relancer depuis le début (ouais), autant vous dire qu'on sort le Dvd de la console, qu'on le range soigneusement dans sa boîte, qu'on met celle-ci en vente sur son compte Vinted avec la mention « très peu servi » et qu'on va regarder la fin du voyage sur Youtube, en avance accélérée. C'est à peine moins interactif, et il y a des pubs ciblées pour relancer notre attention.
Sur le papier, on aurait eu envie d'être indulgent avec ce projet sympathique, d'être encourageant, de lui chercher des excuses (hé quoi ?! Je ne l'aurais pas acheté en version physique, sans ça !), mais plus le temps passe et plus on a l'impression d'être ouvertement pris pour des poires par des développeurs fainéants qui ont bâclé l'ouvrage et ont tout misé sur la com' et sur l'esbroufe. Au point qu'on en vient à se demander si le coup de la traduc' était aussi innocent qu'on a bien voulu le croire de prime abord...
Une fois de plus, l'argument du monde ouvert n'est qu'un cache misère, une solution de facilité pour ne pas avoir à concevoir un véritable level design, qui aurait pu donner à ces villes une vraie personnalité, une présence, une âme, pour nous donner envie d'en explorer jusqu'aux moindres recoins afin de n'en louper aucun détail - sauf que des détails, ici, c'est bien simple, il n'y en a pas. La ville n'est qu'une coquille vide. Le fantôme d'une démo jouable pour béta tests. Une façade en deux dimensions, sans relief ni matière. Un mensonge, comme le reste. Une promesse non tenue.
S'agirait-il d'un travail d'étudiants vendu à 8 euros uniquement en démat', on se serait dit « pourquoi pas ? ».
Mais rien ici ne justifie la sortie d'une version boîte à plus de 20 euros.
Ouais.