L'introduction, avec un écran noir qui dure, qui dure, accompagné d'une musique stridente, annonce bien la couleur, La Zone d'intérêt est une expérience aussi bien sonore que visuelle.

Ben oui, parce que l'on suit une petite famille, papa, maman, une progéniture bien abondante, vivant tranquillou dans leur petite villa, avec jardin (dans lequel poussent de jolies fleurs, ayant comme engrais de la cendre !), piscine, personnel de maison. Madame s'occupe des gosses et de recevoir des invités. Monsieur travaille juste à côté, derrière le mur.


Et de derrière ce mur, viennent des hurlements de souffrance, des aboiements de chien, des invectives sèches dans la douce langue de Goethe, des coups de feu, les vrombissements de fours crématoires. Souvent, de la fumée s'élève dans le ciel. Oui, une expérience sonore et visuelle complètement cauchemardesque parce que l'on a l'inconfort extrême d'observer la famille Höss, dont le chef se prénomme Rudolf, profession, commandant du sinistrement célèbre camp d'extermination, Auschwitz.


Ouais, on marche en plein dans la banalité du mal ou comment vivre à quelques mètres d'un lieu dans lequel sont tués sans relâche des innocents. Quelquefois, un membre du personnel de maison apparaît telle une silhouette silencieuse dans le cadre. On est terrifié pour cette personne, car, étant donné que c'est un prisonnier ou une prisonnière, contrarier un membre de cette charmante petite famille d'Aryens peut équivaloir à la peine de mort. Une colonne de malheureux, au détour d'une séquence, est vue au loin.


On a l'impression constante d'être au plus près de ces êtres (auxquels il n'est pas question de s'attacher, parce qu'ils sont répugnants... parce qu'ils sont plus proches de nous qu'on ne le souhaiterait !), mais tenus tout de même à une certaine distance (comme celle que se crée instinctivement le spectateur !). Impression renforcée par l'usage d'un dispositif filmique faisant que les comédiens pouvaient être les seuls présents, avec uniquement des caméras installées dans les décors, pour filmer leurs faits et gestes, au plus près, mais à distance (comme des caméras de surveillance en quelque sorte !). Un exemple concret de cela est que l'on ne voit pas un seul gros plan.


Alors, peut-on vraiment passer son quotidien en toute quiétude, à peu de distance des pires atrocités, s'y adapter totalement, sans conséquence sur soi-même ? Jonathan Glazer répond par la négative. Des signes discordants apparaissent dans cette mécanique qui aurait voulu être parfaitement huilée. Le grand frère martyrise son cadet, une des sœurs a de lourdes insomnies, un morceau de cadavre se pointe dans la rivière dans laquelle se baignaient paisiblement papa et les enfants, la mère de la commandante, quand elle prend pleinement conscience du lieu dans lequel elle a atterri, se barre sans prévenir quiconque.


Et il y a le portrait de notre protagoniste, Rudolf, capable de ressentir de l'affection pour son cheval ou de se préoccuper du bien-être d'un arbre à lilas, tout en supervisant, en "bon" petit fonctionnaire soucieux d'efficacité, stressé à l'idée de ne pas atteindre ses objectifs, dénué du moindre sentiment à l'égard de ses victimes, des exterminations effroyablement massives. Cela finit tellement par lui bouffer entièrement l'esprit, que quand il regarde, d'un balcon, une vaste salle de réception bourrée de dignitaires nazis, il n'arrive pas à s'empêcher de réfléchir sur comment il pourrait gazer le plus efficacement possible les lieux. Il porte en lui, à jamais, ses horreurs, comme le met symboliquement en relief la fin.


L'ensemble, avec son concept de base de constamment "rester à côté" (le hors-champ a un rôle essentiel ici !), aurait pu s'épuiser très vite, au bout de cinq minutes, sauf qu'en étant beaucoup plus un objet de mise en scène qu'une histoire à raconter (évitant, en outre, de plonger dans un académisme ronflant pour, au contraire, aller vers un expérimental audacieux !), ne ménageant pas en surprises narratives et/ou visuelles (les instants, permettant de respirer un peu dans l'irrespirable, lors desquels, comme dans un rêve, sur une image désaturée, une petite fille dépose, la nuit, des pommes dans les endroits où passent les prisonniers ou quand on s'éloigne géographiquement du camp, soulignant, qu'à distance ou non, cet enfer sur Terre conserve une présence pensante, pour suivre notre exterminateur en chef dans sa nouvelle affectation !), cette œuvre arrive à se renouveler et à maintenir l'intérêt jusqu'au bout.


On sort du tout, sonné, dans un silence de mort. Ce long-métrage, sur les plans narratifs et filmiques, est une expérience désagréable et, par rapport à son sujet, c'est ce qu'elle doit être. Il ne pouvait en être autrement.

Plume231
7
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Le 31 janvier 2024

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Plume231

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