A mystery of violence
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La Bête de Bonello est une œuvre complexe et cryptique parce qu'il y a chez Bonello, même si je n'ai vu que Nocturama, l’idée de construire une ambiance, une atmosphère, ou quelque chose de cet ordre là; plutôt que de vraiment développer une intrigue.
Cela explique pourquoi la bête est un leurre, elle ne se montre pas ! Tout simplement ! Le film veut aller un peu plus loin et va chercher du côté de l'introspection (littéralement) puisque le personnage de Seydoux va puiser dans ses vies antérieures pour expier toute source d'égratignure du passé, qui font défaut en 2044.
Le film adapte donc le livre d'Henry James qui évoquait déjà l'idée d'une bête destructrice de relation, sauf que Bonello y injecte des éléments tout à fait modernes comme l'obsolescence des humains face à l'IA qui cherchent donc à se robotiser ou le rapport aux images.
Mais il est aussi et surtout question d’émotions et de sentiments. Des sentiments qu’il faut vaincre puisque dans le futur nous ne pouvons pas faire confiance à quelqu’un qui est déprimé. Il y a donc la peur avec la bête mais aussi l'amour, puisque la bête affectera elle mais aussi ceux qu'elle aime. La peur de l’amour.
Cet amour qui transcende les époques et les problèmes, qui se retrouve brisé constamment par des événements intrinsèques à leurs époques, en 1910 c’est l'inflammabilité des poupées, puis la haine des couples de Louis, tel l’incel d’origine qu’est Elliot Rogers, dans ses vidéos où il déverse sa haine des femmes en 2014 le mène à tuer Gabrielle. Et enfin la perte d‘émotion en 2044, pour avoir un travail.
«Sometimes love will bloom in the springtime
Then like flowers in summer it will grow
And then fade away in the winter
When the cold winds begin to blow
But when it's evergreen, evergreen
It will last through the summer and winter too
When love is evergreen, evergreen
Like my love for you
So hold my hand and tell me
You'll be mine through laughter or through tears
Then let the whole world see, our love will be
Evergreen through all the years
For when it's evergreen, evergreen
It will last through the summer and winter too
When love is evergreen, evergreen
Like my love for you»
Ce sont sur ces paroles que Gabrielle pleure et elles sont à l’image du couple,ils vivent l’été, mais fanent en hiver.
Ce que la bête a tué, ce n'est pas elle ou lui, mais leur amour.
Ce qui est aussi fascinant dans le film, c'est son côté multi-genre. Il commence comme un film d'anticipation puis dévie vers le film en costume puis l’horreur, la comédie, tout cela est infusé dans de nombreuses influences. Il est d’ailleurs intéressant de voir que la partie à Los Angeles fait beaucoup penser à Mulholland Drive et les deux films partagent leurs aspects étranges et indicibles.
Et c’est peut-être pour cela qu’il est aussi difficile à appréhender pour le spectateur qui doit se frayer un chemin à travers sa narration fragmentée et sinueuse.
Il y a aussi dans le film un rapport particulier aux images. Les tableaux en 1910 sont décrits comme «aussi sombre que l’époque est lumineuse» ce qui est assez ironique. Des tableaux presque annonciateurs de la crue, de 14/18 et de la bête.
En 2014 la caméra est truffée de caméras de surveillance. Même le voisin appelle le propriétaire au moindre bruit. Cet état d’ultra surveillance est renforcé par cette maison de bais vitrés qui offre une vue pour tous les voisins. En 2044, le format de l’image est étriqué, l’horizon y est plus difficile. Gabrielle a beau être en gros plan (l’image-affection de Deleuze) ses sentiments n’importe pas aux employeurs.
Les images se multiplient, dédoublent, se reproduisent.
La reproductibilité technique et intemporel des images sont comme les événements du films qui se répètent plusieurs fois tout au long du récit, aussi bien la scène du couteau que la scène de la boîte de nuit. Jungle de monde où tout le monde se cherche ou cherche quelqu’un. Ou bien encore comme les poupées de l’usine que produisent le mari de Gabrielle en 1910 ou de la poupée Kelly de 2044. Interchangeables et identiques.
Le film suit ce qu'avait indiqué W.Benjamin la perte d’aura par la volonté de la masse de «rendre les choses plus proches de soi spatialement et humainement ».
Bertrand Bonello nous livre un film aussi invisible que beau, aussi cryptique que romanesque. Un grand film dans lequel il faut savoir parfois ne pas tout comprendre et se perdre pour se faire absorber.
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Le 9 février 2024
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