Fargo
8.2
Fargo

Série FX (2014)

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Un froid d'enfer [Critique de "Fargo" saison par saison]

Saison 1 : pour Malvo...

Concept intéressant que ce "spin off" du chef d'oeuvre des Frères Coen, produits par eux mêmes et décliné sous la forme d'une série en 10 épisodes de 45 minutes. Le fan se délectera des nombreuses et savoureuses références au film original, mais également à d'autres personnages de la filmographie des Brothers (le tueur implacable et supérieurement efficace, qui absorbe d'ailleurs ici toute l'attention du téléspectateur, tant l'interprétation de Billy Bob Thornton est intense, le Personal Trainer imbécile...), et devra reconnaître que l’atmosphère si particulière du film n'est en aucun moment trahie par le remarquable travail des réalisateurs et autres "techniciens" à l'œuvre ici sur cette série très soignée (mention spéciale à la musique, très réussie). Malgré tout, on constate qu'il était bien évidemment illusoire d'espérer conserver sur près d'une dizaine d'heures la transcendance magnifique de "Fargo"- le film, et que les scénaristes ont ramé pour maintenir l'intérêt du téléspectateur : entre les trous d'air du récit, une fois épuisé l'élan du superbe pilot, de curieuses ellipses, des personnages disparaissant sans explications et des situations inachevées, et surtout une fin fondamentalement décevante, "Fargo"- la série nous laisse quand même un léger goût de désillusion. [Critique écrite en 2015]

Saison 2 : pour Lou...

Cette seconde saison du "concept Fargo" représentait clairement un défi beaucoup plus important que la première, puisqu'il s'agissait cette fois de prouver qu'on pouvait aller au delà de la bonne idée initiale de spin off du film des Coen Brothers, et construire une nouvelle fiction à la fois cohérente et enrichissant l'univers singulier de "Fargo". C'est clairement ici un pari gagné : en soignant leur remarquable reconstitution de la fin des années 70 (je pense en particulier à Reagan et aux élections présidentielles, mais également à l'atmosphère de désillusion générale face au premier grand choc pétrolier), et en faisant le pari d'une noirceur accrue, moins tempérée par l'humour "coenien" typique, les créateurs de "Fargo" confèrent à leur série une profondeur remarquable : finalement, on pense plus ici au roman noir façon Hammett (quand même une autre référence pour les frères Coen, à la source de leur excellent "Miller's Crossing"...) qu'aux plaisanteries ironiques dans la lignée de "Big Lebowski", et à mon avis, c'est tant mieux. Remarquablement mise en scène, filmée et montée à nouveau (même si les épisodes signés Keith Gordon sont les plus gratuitement provocateurs), cette seconde saison de "Fargo" bénéficie d'un scénario mieux écrit - sans les trous d'air de la première saison - et de personnages plus équilibrés (sans doute parce qu'il n'y a pas cette fois, un "trou noir" absorbant tout le reste comme Billy Bob Thornton !) et tous complexes et assez passionnants. Une belle réussite... [Critique écrite en 2016]

Saison 3 : pour Emmit et pour Ray...

Et si, pendant qu'on regardait tous ailleurs, "Fargo" était devenu la meilleure série TV en cours ? Du même niveau que notre cher "Breaking Bad" ? Combinant un excellent scénario avec une mise en scène constamment inventive et inspirée, des acteurs en état de grâce et, plus rare, beaucoup plus rare, une véritable "vision". Est-ce Noah Hawley que l'on doit féliciter pour la réussite majeure, quasi-absolue, de cette troisième saison, qui, sans trahir les thèmes philosophico-absurdes des Frères Coen (comme cette remarquable idée de la flic dont l'existence n'est pas détectée par les machines et les automatismes qui commandent autour de nous...), nous touche droit au cœur, comme ni le film, ni les deux saisons précédentes, aussi brillantes aient-elles été ne l'avaient fait. La tragédie inévitable et cruelle qui se déroule implacablement devant nos yeux - en suivant le même type de mécanique-boule de neige que d'habitude - fait cette fois des victimes dont le sort nous importe, et "Fargo" diffuse pour la première fois une insondable tristesse, frôlant un désespoir noir que l'humour, tout aussi noir, ne dissimule plus qu'à peine... Ewan McGregor, meilleur que jamais, campe deux frères jumeaux aussi ridicules que bouleversants, tandis que l'excellente Carry Coon ajoute une détresse tangible au personnage, désormais classique dans la série du policier, "de base" qui s'accroche pour démêler l'indémêlable. Et puis il y a David Thewlis, dont on connaît la propension à incarner de mémorables salopards, et qui atteint ici des sommets d'abjection répugnante : car la grande idée de cette saison, c'est de nous confronter non pas à la petite criminalité vaguement crapuleuse, mais à l'univers impitoyablement maffieux de la Finance, soit un point de vue bien plus pertinent sur notre époque. Déplorons un épisode ("Who rules the land of Denial?") qui sombre un peu trop dans le fantastique et déséquilibre la subtile construction du récit (même s'il y a là sans doute des références sympathiques à "Twin Peaks"), mais admirons la fin suspendue, d'une intelligence renversante, qui clôt magnifiquement l'expérience extraordinaire qu'a été cette saison. Bravo ! Bravo ! [Critique écrite en 2017]

Saison 4 : pour Oaretta...

Surprenant "décrochage" opéré par Noah Hawley pour sa formidable série "Fargo" : la quatrième saison prend place à Kansas City, loin de Fargo donc - qui sera quand même évoqué dans l'histoire - et retrace l'évolution de la mafia locale pendant les années 50. D'abord d'origine juive, puis irlandaise, et enfin italienne - au rythme des immigrations -, cette dernière organisation confrontée à une tentative de mise en place d'une organisation concurrente afro-américaine -, le crime organisé local va évidemment passer par nombre de péripéties sanglantes - et un tantinet absurdes, "Fargo" restant "Fargo"...

On appréciera, logiquement, ce parti pris "politique" de Hawley, à un moment où l'Amérique s'interroge sur la reconnaissance de la place de la population afro-américaine dans la société : et pourquoi les opprimés ne seraient-ils pas des gangsters aussi crédibles et professionnels que les blancs, on vous le demande ? Dans l'un des rôles principaux, Chris Rock s'avère particulièrement convaincant d'ailleurs, plus en fait que son homologue "italien", joué avec un peu trop de fantaisie sans doute par Jason Schwartzman.

Même si le contexte et le scénario sont assez différents de ce à quoi "Fargo" nous a habitué dans ses trois premières saisons, on retrouve suffisamment du même humour à la fois décalé et cruel pour ne pas perde totalement ses marques, en dépit d'un certains nombres de codes régissant les guerres des gangs qui semblent inchangés depuis "le Parrain" de Coppola.

Le plus intéressant de cette saison, si l'on excepte un magnifique épisode 9, très formaliste avec son image en Noir & Blanc, qui est un pur hommage au style et aux thèmes des Frères Coen, c'est peut-être en fait le personnage de l'infirmière psychopathe superbement interprétée par une Jessie Buckley qui, entre caricature déjantée et déviance inquiétante, confirme la très forte impression qu'elle nous avait déjà laissée dans "Je veux juste en finir" : le plaisir qu'on retire encore une fois de "Fargo" lui doit beaucoup.

[Critique écrite en 2021]

Saison 5 : pour Dot...

Ce matin-là, peu de temps après qu’une bagarre générale dans la salle municipale de la petite ville où elle habite ait conduit à l’arrestation de Dot, deux hommes masqués s’introduisent chez elle pour la kidnapper. Ils vont vite réaliser que c’est une tâche bien moins aisée qu’elle ne le paraissait a priori…

… La suite, il vaut mieux ne rien en dire, et laisser au téléspectateur le plaisir de découvrir chaque rebondissement littéralement incroyable de cette nouvelle histoire imaginée par Noah Hawley, le créateur, scénariste, showrunner et réalisateur occasionnel de cette brillante série qu’est Fargo… Sans doute l’une des toutes meilleures des années 2010-2020, et à notre avis pas assez reconnue encore comme telle. Ce que cette cinquième saison devrait normalement changer, tant elle est ENORME !

Une cinquième saison que l’on a attendue trois ans, qui pourrait être la dernière et qu’on aurait envie de célébrer comme la meilleure de toutes – la plus forte, la plus impressionnante, la plus intelligente, la plus politiquement engagée… même si, parfois, elle semblera un peu moins décalée, moins subtile que les précédentes (en particulier la saison 4, sans doute la plus raffinée…). On commencera par souligner que c’est aussi l’histoire qui rend le plus directement hommage au chef d’œuvre fondateur des Frères Coen, avec des situations similaires, des personnages faisant écho à ceux du film Fargo, et même certains plans le citant directement : le couple dont le mari gère une concession automobile, la famille riche de la personne kidnappée, la paire de bandits pour le moins mal assortie et bizarre, la policière têtue, la recherche dans un champ enneigé d’un objet enfoui, etc. Et puis il y a aussi plus surprenant : ce tueur littéralement décalqué sur le personnage joué par Javier Bardem dans No Country For Old Men (avec sa coupe de cheveux improbable), qui ouvre une sorte de béance fantastique inattendue dans la série, dont on ne dira rien, mais qui permet à Fargo de se clore, une fois que les armes se sont tues (il y a beaucoup de violence dans cette saison, parfois drôle, souvent non !), dans une longue scène magnifique, magique. Comme si Hawley avait voulu montrer aux Coen une manière alternative de terminer la trajectoire de leur tueur implacable !

Mais cette cinquième saison est aussi plus engagée politiquement que les autres : centrée sur les violences conjugales et la masculinité (plus que) toxique, elle oppose deux archétypes du Mal contemporain, qui offrent à Jennifer Jason Leigh et à Jon Hamm deux des plus beaux rôles de leur carrière. D’un côté, le capitalisme pur et dur, sans pitié, s’enrichissant sur le dos de la misère des autres (ici, l’exploitation du surendettement chronique des Américains), de l’autre, l’Amérique profonde, rétrograde, violente, qui vote Trump mais est surtout réfractaire à toute notion d’état, de justice institutionnelle, ne croyant qu’en la tradition, la Bible et les armes à feu. Avec, au milieu, les gens ordinaires – ou pas tant que ça, car comme chez les Frères Coen, c’est chez les gens ordinaires que se trouvent les véritables vertus – et ceux qui luttent pour préserver un minimum de structure sociale, comme la police locale.

Là où le scénario est audacieux, et ne caresse pas tant que ça le politiquement correct dans le sens du poil, c’est que Hawley nous dit qu’entre ces deux maux, il faut choisir le moindre, et que la priorité aujourd’hui, c’est d’abattre la bête immonde des forces réactionnaires, quitte à se compromettre avec le Capitalisme, ce qui n’a rien d’évident. Admettons donc que le choix de Dot (Juno Temple, paradoxale et parfaite, elle aussi), c’est avant tout celui d’un monde féminin, peut-être cruel, mais en tout cas plus vivable que celui du patriarcat traditionnel (Qui a crié « Woke ! », « Woke ! » parmi nos lecteurs ?). Tout ceci est troublant, d’une lucidité et d’une intelligence remarquables, mais surtout, on le répète, permet à Fargo de se clore sur une longue scène pleine d’une douceur inattendue, mais aussi d’une étrangeté rare, qui voit les malédictions ancestrales et les mythes s’effriter contre la simple résistance de la bonté.

Un chef d’œuvre, tout simplement.

[Critique écrite en 2024]

https://www.benzinemag.net/2024/02/01/canal-fargo-saison-5-le-choix-de-dot/

EricDebarnot
9
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Le 25 mai 2015

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Eric BBYoda

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